Texte





L’homme débarque



L’homme débarque et il n’est pas du tout en accord avec les reflets de la grande vitrine qui présente ce qui est devant le bâtiment, ce qui est sur le coté du bâtiment, la nuit autour du bâtiment puis tout ce qui se trouve à l'intérieur du bâtiment d’où je vois tout ça. La musique diffusée ne se reflète pas, on n'est pas fou mais elle transforme la réalité, qui d’ailleurs en profite pour s’adorer.

L’homme débarque donc et fout tout en l’air parce qu’il regarde mal. Il ne regarde même pas vraiment, ni avec la musique, ni avec rien. Il est pourrit ce mec et il pourrit la grande vitrine qui présente tous les reflets qu’elle trouve pour embellir la réalité qui se préfère quand elle est mélangée comme ça.

Tout allait bien avant que l’homme ivre ne voit rien et balaie ce qu’il ne voit pas d’un immense rôt.


Voilà.

A ce moment là, les reflets ne sont plus sauvagement colorés, l'Opéra se termine. 

Entre un ennuie palpable.


BAM !

La nuit débarque et tout est désossé. Je ne vois donc plus personne dans la rue qui d’ailleurs ne contient plus de couleur du tout, maintenant c’est blanc. C’est pas d’la neige, c’est d’l’ennuie. De l’ennuie lourd et vastissime que même les voitures ne veulent pas traverser. Pourtant ça me sauverais ça: des vagues de voitures de toutes les couleurs, de toutes les formes et de toutes les puanteurs pour remplacer la mer qui n’existe pas ici. Elles valseraient autour du rond point comme elles le font toute la journée, quand on ne leur demande rien, quand on se fout de leur participation poétique au monde

  





Texte






Les pelleteuses


Il y a toujours de gros chantiers dans les grosses villes. Des gros chantiers qui prennent le temps de remplir la ville de poussière et de bruit. Ca prend l’espace aussi parce qu’il y a:

un dortoir de matos

le chantier

+ beaucoup de barrières

+ quelques unes (beaucoup aussi) en rabe, qui sont mises dans un coin au cas où mais un très gros coin.

+ tas de sable ou sac à gravats

+ enfin, le cimetière de pelles. 

Le cimetière de pelles de pelleteuse est mon coin de chantier qui prend de la place sur la ville préférée parce qu’elles dorment sur un coté comme ça, loin des monstres puissants auxquelles elles appartiennent. Quand elles sont rassemblées sur le sol nu, j’ai l’impression qu’elles discutent et que personne n’est à la hauteur de leurs rêves et de leur poésie qu’elles se chuchotent très doucement, signifiant aussi que le bruit est réservé au chantier, à la destruction et à sa poussière lourde et que elles, les pelles, préfèrent ce léger froissement de mots qu’est le chuchotement et ce léger froissement de rêve et de liberté qu’elle découvrent chaque soir en s’endormant sur un coté comme ça






Texte





Un oiseau



Ma voisine me montre de la canne un grand type barbu sur un escabeau et me dit que tu vois cet homme là-bas, eh bien c’est un tout petit oiseau. On le voit de dos, on ne sait pas ce qu’il fait mais il bidouille un truc. Il est courbé au dessus de ses mains qu’on imagine agitées. Et quand il semble avoir fini, il se redresse pour faire le double de sa taille, défait ses cheveux longs, déploie ses bras à l’infini et s’envole. Il est immense et son mouvement tranquille. On le voit s’éloigner dans le ciel et ma voisine me dit alors:

“Précisément maintenant, cet homme est un tout petit oiseau.”  






Texte




Susanna.


Susanna a le sourire d’une déesse en plastique parce qu’il est entièrement rouge et que tous ses sourires sont identiques et rouges. Tous les jours Susanna fait le même sourire parce qu’elle sait que c’est celui-là qui arrête le vent et bascule les orages.

Aujourd’hui, le sourire rouge de Susanna s’est installé en travers du fleuve et le fait déborder. Ce qui s'échappe alors du fleuve s'immisce dans la ville qui n’est pas loin, pour que le sourire rouge de Susanna rouge soit le dernier sourire au monde. 











Texte





Les routes



Il y a des routes qui s’effondrent quand je les regarde avec trop d’attention. Leur bitume est coupé à l’émotion, il supporte mal que je le drague sans arrêt. Il a l’habitude d’être écrasé par les roues des voitures et des camions. Pour supporter le poids des machines et du temps, il a dû s’endurcir au fil des années, mettre de coté sa propre existence, ne penser qu’a protéger ses rêves et ses envies pour que sa surface soit plus dure, impénétrable, sans faille. Malgré cette concentration sans relâche, il arrive à la route des moments d'inattention encouragé par les caresses du vent chaud de l’été. Elle font naître des fissures dans sa peau épaisse, des cicatrices creusées par les pluies et les crasses des saisons.


Parfois, quand elle est émue, la route se brise entièrement. Se brise en plusieurs endroits et bruits et c’est alors que la réalité glacée peut l’atteindre. Je la vois s'effondrer sur elle-même, se replier dans les gouffres qu’elle avait mis des années à cacher aux yeux du monde. La route disparaît alors pour quelques temps. Ce qui reste d’elle sont deux plongeoirs solides, tendus au dessus de l’obscurité moite et sans fin que sont ses entrailles. Les plongeoirs veulent m’emmener vers l’en-delà, l'intérieur du corps de la route. Il est sans fin, sans parois et sans reflet. Je me penche au dessus de ce gouffre béant pour comprendre les bourdonnements que je crois percevoir. 

Une fois ma tête à l’intérieur, je sens la route m’arracher vers elle, me jeter dans son vide. Ma chute commence à peine et déjà je la sais sans fin. Je tombe et rien ne me rattrape. Il n’y a que les paroles de la route que je sens. Ce sont des grondements lourds et dont chaque phrase me propulse encore plus rapidement, faisant basculer mon corps en tout sens. Elle me dit : Qui est-tu pour me penser de cette façon là? Je ne te demande rien. Si tu veux savoir qui je suis, demande-moi. Je suis le labyrinthe dont tu ne trouveras jamais la fin, mes mains recouvrent le monde et portent son mouvement. Mon réseau infini encercle la planète entière et si je veux l’anéantir, je n’ai qu’à contracter le bitume qui me compose pour le faire imploser. Je sais traverser les grands fleuves et les entailles de la terre. Je n’ai pas besoin de tes regards ni de tes attentions. C’est moi qui propage les guerres et les arrête........ Voilà, la route me parle encore un peu et la fin est incompréhensible.

Puis, la route se relève, sort de son propre vide et reprend sa place sur la surface de la terre. Je vois au loin le gouffre se refermer sur moi. Je suis piégée et ma nouvelle réalité est une obscurité sans fin, sans parois et sans reflet. Dans ma chute qui trouve toujours pas de fin, je perçois un ensemble de points lumineux, assez vagues et lointains. En regardant d’avantage, je m'aperçois que ces marques suivent des lignes. Elles forment des constellations que je ne connais pas. Les lignes en pointillés se croisent et s’entrelacent sans arrêt. C’est alors que je comprends qu’il ne s’agit pas d’étoiles mais des blessures de la route. Elles laissent passer le jour et les lumières des lampadaires. 

C’est à ce moment précis que je pris la décision de ne jamais quitter le corps de la route, pour que mon errance ne soit abritée d’aucun autre paysage que l’immense constellation du réseau routier du monde en mouvement.